Help ! I'm trapped in a Mezuzah Factory

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Le Consortium
Curated by Eric Troncy

 

Conçue spécialement pour Le Consortium par Spartacus Chetwynd, Help! I’m trapped in a Mezuzah Factory! est la première exposition monographique française de cette artiste anglaise avec laquelle Le Consortium débute une collaboration qui aboutira, dans un an, à la production d’une performance et d’une seconde exposition. Le Consortium a également proposé à Spartacus Chetwynd d’intervenir à sa guise dans toutes les expositions qui y seront présentées en 2008 – signe de l’intérêt porté à une œuvre libératrice et régénérante.

Que peuvent avoir en commun Star Wars, l’incroyable Hulk, Fassbinder, Ken Russel, le peintre italien Giotto, Hokusai, l’artiste asiatique Yayoi Kusama et, à vrai dire, tout un tas d’autres personnages ou œuvres en apparence parfaitement hétéroclites ?

La réponse tient en un seul nom : Chetwynd. À la longue litanie de ses sources d’inspiration s’ajoutera bientôt, peut-être, aussi celle de ses prénoms : elle abandonna le sien, Lali, lors de son 33e anniversaire, et choisit Spartacus, empruntant celui d’un gladiateur qui dirigea la troisième guerre servile en Italie du Sud entre -73 et -71 av J.-C., organisant une révolte d’esclaves, et empruntant aussi, par la même occasion, le titre de romans, films et pièces de théâtre.

Spartacus Chetwynd, donc, pas encore trente cinq ans, est sans aucun doute ce qui pouvait arriver de mieux à la création contemporaine, et aussi ce qui pouvait lui arriver de pire.

Les évocations les plus diverses sont convoquées pour décrire l’art de Spartacus Chetwynd : tandis qu’un catalogue de la Tate Modern en appelle au « carnaval, au cirque, et aux comédies des Marx Brothers », le magazine anglais Frieze décrit son travail comme évoquant: «Le théâtre d’Alfred Jarry et Berthold Brecht, une soirée disco lors d’une convention d’amateurs de Science Fiction, et une fête de fin d’année d’école primaire.»

Difficile, en vérité, de se représenter exactement l’hallucinant désordre qui caractérise les performances qu’elle réalise depuis quelques années, et qui mixent au mépris de toute hiérarchie une foule de références suffisamment hétérogènes pour qu’on se borne à les décrire ici comme relevant à la fois de la culture noble et d’une culture plus populaire.

Réalisées avec des acteurs non expérimentés, pour ne pas dire occasionnels, ces performances sans véritable scripte ni structure prédéterminée, au style volontairement amateur et improvisé et donnant lieu à des films de pauvre qualité technique n’en sont pas moins minutieusement cogitées par Chetwynd qui semble trouver un plaisir ardent à la fréquentation des bibliothèques. Comme débouchant inévitablement sur une joyeuse overdose de savoir due probablement au mélange de sources a priori incompatibles, ses recherches semblent exploser dans un incroyable fatras de connaissances : la culture, a fortiori comprise sans hiérarchie, n’est pas chose simple à ordonner. Ainsi au titre des sources de l’œuvre de Chetwynd The Fall of Men (2006) trouve-t-on Le Paradis perdu (1661), une épopée en 12 volumes du poète anglais John Milton, et dont la traduction anglaise est Paradise Lost. Mais Paradise Lost est aussi le nom d’un groupe de gothic métal britannique du Yorkshire fondé en 1989…

Une autre source convoquée par The Fall of Men est The German ldeology, le livre écrit en 1845 par Karl Marx et Frederich Engels: dans sa performance, Spartacus Chetwynd transforme les textes de ces sources érudites en spectacle de marionnettes interprété par une troupe de pierrots manipulant des créatures en forme de patates sur deux petites scènes en carton.

Mademoiselle Chetwynd est née en 1973 à Londres où elle fit, entre 1992 et 2002, dix années d’études, en commençant par l’histoire et l’anthropologie au University College de Londres, puis en étudiant l’art à la Slade School of Fine arts et au Royal College of Art. Bien que de ses études d’anthropologie elle ait gardé une franche admiration pour La Pensée Sauvage de Claude Levi-Strauss, et en particulier pour le « bricoleur » qu’il décrit, elle affirme aussi « Mes performances sont la continuation d’une pratique située à l’origine hors du monde de l’art, c’est-à-dire les fêtes costumées que j’ai organisées dans mon appartement entre l’âge de 16 et de 25 ans. Elles sont maintenant plus élaborées et sorties de cet univers domestique. » Cet aspect des choses est particulièrement flagrant dans Thriller (2004), un hilarant remake du clip de Michael Jackson exécuté par une horde d’amateurs grimés et prenant très au sérieux leur curieuse mission.


 

Tandis que dans l’une de ses performances, un personnage de La famille Addams dont les cheveux, la barbe et tous les poils possibles ont poussé pour ne faire de lui plus qu’un amas capillaire mouvant, fait la visite guidée des œuvres d’un peintre romantique dans une galerie de Liverpool, dans une autre, An Evening with Jabba the Hutt (2003), on assiste aux déboires de la créature de Star Wars, ici entourée de quelques jeunes femmes particulièrement dénudées.

Il y a plus que de l’humour dans l’accouplement contre nature de références apparemment aussi contradictoires que celles de Spartacus Chetwynd. Il y a aussi le vertige sidérant de tout ce qui s’offre à notre connaissance. Pour autant, la restitution de cette connaissance au cours de performances relevant du théâtre, du cinéma amateur ou de la fête de fin d’année interroge avec sévérité les habitudes de la création contemporaine. À l’heure où la performance, justement, devient une forme d’art hautement sophistiquée et hyper-produite (le récent festival de Manchester devait en apporter la preuve, avec notamment une performance de Matthew Barney mettant en scène l’actrice, modèle et athlète Aimee Mullins), l’art de Chetwynd semble vouloir lui restituer une dimension domestique, ludique même, et franchement indifférente aux exigences du marché comme au goût conformiste des galeries. Marché qui, dans son cas, pourra toujours s’emparer des peintures à l’huile qu’elle réalise aussi, depuis plusieurs années, sur de toutes petites toiles, à peine plus grandes qu’une carte postale, et a globalement intitulé Bat Opera: celles-ci, inspirées de la pochette de l’album du groupe de métal Meat Loaf, Bat Out of Hell, évoquent paradoxalement, dans leur facture soignée, Tiépolo et Canaletto. Ce n’est pas le moindre des charmes de l’art de Chetwynd que de nous inviter à une guillerette orgie dans la somme infinie du savoir qui est à notre portée, et de nous y inviter d’une manière aussi familière. Plutôt que de simplement l’acheter, cet art décomplexé suggère aussi d’y participer, puisqu’elle ne travaille qu’avec des amateurs. Des amateurs suffisamment motivés quand même : pour The walk to Dover, Spartacus Chetwynd avait organisé un périple de 7 jours avec des acteurs en costume entre les villes de Londres et Douvres. Inspiré de David Copperfield et du voyage qui le conduisit à Douvres avec sa tante Betsy Trotwood, et durant lequel il dut trouver la nourriture nécessaire à sa survie, l’œuvre prévoyait que les « marcheurs » devaient faire de même. Dans le plus pur esprit Koh-Lanta, ils durent chercher victuailles sur leur route, et solliciter la bienveillance des passants !

Éric Troncy