Dominique Gonzalez-Foerster
COSMODROME / QUELLE ARCHITECTURE POUR MARS ?

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Le Consortium
Dominique Gonzalez-Foerster, "Cosmodrome", exhibition view Le Consortium, 2001.
Dominique Gonzalez-Foerster, "Cosmodrome", exhibition view Le Consortium, 2001.
Dominique Gonzalez-Foerster, "Quelle architecture pour mars?", exhibition view Le Consortium, 2001.
Dominique Gonzalez-Foerster, "Quelle architecture pour mars?", exhibition view Le Consortium, 2001.

Dominique Gonzalez-Foerster (1965, Strasbourg, France)


Dominique Gonzalez-Foerster conçoit pour Le Consortium (et le second bâtiment, celui dit de "L'Usine"), une exposition en deux temps : à l’Usine, un projet intitulé « Cosmodrome », sorte de comédie musicale sans acteur, dans une très grande salle plongée dans le noir, sur une musique originale de 7 minutes créée spécialement par Jay-Jay Johanson, diverses sources lumineuses (écrans de contrôle, cascades de lumière, traits évolutifs) entraînent le spectateur dans un espace et une histoire. Le « Cosmodrome » est un son et lumière qui fonctionne comme certaines expositions de la fin du XIXe siècle, tels des environnements complets qui étaient créés pour simuler des naufrages, des orages. Ces simulations précèdent à la fois le cinéma et une certaine idée de l’exposition. C’est aussi un retour aux panoramas ou à ces grands environnements générateurs de sensations, dans l’idée de ne pas aller dans la direction de l’œuvre objet mais de l’œuvre sensation. Dans différents textes, j’ai parlé de la sensation d’art, de quelque chose qui fonctionne plutôt comme une expérience, comme un ensemble. Cela s’apparente aux chambres que j’ai présentées avant, c’est-à-dire que l’on rentre dans ces environnements, on ne les domine pas comme objet.
Le « cosmodrome » est une séquence de 9 minutes où chaque élément est important, que ce soit la durée, le son ou la lumière. La séquence est elle-même décomposée en différents moments. Il y a donc une dramaturgie assez simple avec différentes phases.

Au Consortium, ce sont ses principaux filins — parmi lesquels « Rtvo » et « Central » sélectionnés pour la Quinzaine des Réalisateurs — Cannes 2001 — qui sont présentés dans un dispositif pensé en fonction du lieu.


— Tu as fait appel à une personnalité pour composer la musique ?

Je parlerais plutôt de bande originale puisque c’est plus proche du travail de réalisation d’un film. J’ai travaillé avec Jay-Jay Johanson que je connais depuis un an à peu près. Il est suédois et a fait des études d’art. Jay-Jay est chanteur, mais il a aussi composé des bandes originales de film. Je lui ai proposé de travailler sur mon projet. Je lui ai donné les éléments de la dramaturgie, les différentes phases. Il a commencé à élaborer sa composition à partir de ces directions. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur les mots. C’est une véritable collaboration. Il est venu, il y a 15 jours, pour faire un essai. Il n’a pas seulement ajouté une musique mais c’est vraiment une collaboration.

— Pourquoi avoir choisi le terme « Cosmodrome » ? Est-ce une référence au décollage d’une fusée ?

En fait, c’est pour évoquer l’espace. Mon premier titre était « Haïti parc ». C’est le nom d’un endroit à Taiwan. Mais je trouvais que le terme était trop abstrait. J’ai cherché dans un dictionnaire et je suis tombée sur le terme « cosmodrome ». Je voulais un terme proche de planétarium mais moins codé que ce mot. Avec le terme cosmodrome, ce qui est bien c’est que l’on ne sait pas à quel type d’espace cela fait référence. Il y a tout de même l’évocation d’un cosmos et l’idée d’un espace.
L’environnement ne doit donc pas forcément évoquer le décollage d’une fusée.
Pas du tout non. On est plutôt dans un vaisseau. C’est surtout le charme du mot qui justifie mon choix.

— D’ailleurs, tu parlais de références, d’histoires que tu as confiées à Jay-Jay Johanson pour sa composition. Quelles sont-elles ?

Dans « La Fureur de Vivre » avec James Dean, il y a une séquence où l’acteur entre dans le planétarium. À cet instant, un policier s’écrie : « un garçon et une fille sont entrés dans le planétarium ».
Il y a différents films auxquels je me réfère : L’ordinateur du nom de Hal de « 2001 : l’odyssée de l’espace »1, « THX 1138 »2, le premier film de Georges Lucas. Beaucoup de références sont du côté de la science-fiction dans le cinéma. Dans « Mission to Mars »3, il y a aussi un ordinateur qui parle.

— Les références du « Cosmodrome » sont en fait un mélange entre les expositions expériences de la fin du XIXe siècle et l’imaginaire de la science-fiction des années 1970. Et la littérature de science-fiction.

Oui, tout à fait.

— Le « Cosmodrome » est-il la concrétisation des mises en garde proférées par Ann Lee (personnage du film de Dominique Gonzalez-Foerster « Ann Lee in Anzen Zone », présenté dans l’espace du Consortium) qui s’adresse ainsi aux spectateurs : « Vous serez tous envoyés vers un lieu sans retour, c’est un voyage vers nulle part … » ?

Ça pourrait être ça, mais je n’ai pas encore établi de liens entre Ann Lee et le « Cosmodrome ».
C’est drôle parce que l’expression « touriste de l’espace » est apparue avec ce riche américain, nommé Tito, qui est parti dans l’espace avec les Russes. Ce civil payant sa place a été le premier touriste de l’espace. Je pense que ce phénomène va s’amplifier dans peu de temps.
J’ai parlé aussi à Jay-Jay Johanson de gens âgés qui partiraient pour l’espace dans des vaisseaux. En quittant la Terre, ils ne mourraient jamais vraiment puisque mourir c’est être enterré sur Terre. Disparaître dans l’espace, ce serait autre chose. Le « Cosmodrome » est un lieu entre un vaisseau, une nouvelle planète. D’ailleurs, dans la dramaturgie de ce son et lumière, il y a des moments qui évoquent le vaisseau ; au début, on est plutôt dedans, ensuite, il y a une sorte d’atterrissage et puis on sort quelque part.

— Pour en revenir à Ann Lee, elle prononce une phrase clé : « Vous disparaîtrez dans vos écrans». Le personnage numérique semble prévenir des dangers de l’expansion d’un monde virtuel sur le monde réel.

Il faut relativiser. Ann Lee se lance en fait dans un délire intellectuel.

— Il y a tout de même des liens entre Ann Lee et le « Cosmodrome ».

Oui, notamment les références à la science-fiction.
Avec Ange Leccia, nous avons fait le film « Gold », présenté dans l’exposition « Elysian Fields » au Centre Pompidou l’été dernier. Pour nous, c’était le premier road-movie interplanétaire où deux personnages, qu’on ne voit jamais, se déplacent d’un environnement à l’autre, d’une planète à l’autre. À travers « Ann Lee », « Gold » et le « Cosmodrome », je peux enfin explorer cet espace de la science-fiction.

— Votre film « Ann Lee in Anzen Zone » (« Ann Lee en zone de sécurité ») est le troisième volet du projet « No Ghost, Just a Shell » initié par Pierre Huygue et Philippe Parreno (les deux artistes ont acheté un personnage de manga, Ann Lee, au prix de 46000 yens à une agence japonaise de création de personnages). Dans votre version, Ann Lee semble s’émanciper de son état de personnage virtuel en interpellant directement les spectateurs dans sa langue d’origine (le japonais). Est-ce une volonté de retrouver ou plutôt de trouver son identité ?

Oui, bien sûr. Elle parle dans sa langue et se dédouble. Sa « traduction vivante » (en anglais) est un clone d’elle-même. Ann Lee a une dimension très contemporaine ; elle est à la fois dédoublée, elle existe dans différentes langues et elle adopte une position un peu apocalyptique. Pour moi, il est naturel qu’elle parle le japonais vu que c’est sa langue d’origine.

— Cela confirme son identité, sa provenance.

Tout à fait.

— Après Philippe Parreno, Pierre Huygue et vous, quel sera le prochain ou la prochaine à faire évoluer Ann Lee ?

Liam Gillick est en train de préparer un film avec Ann Lee ; Rirkrit Tiravanija et Pierre Joseph aussi. Pierre Huygue en fait un nouveau.

— Dans l’espace du Consortium, vous présentez aussi un diaporama, quelques films récents (« Ipanema Theories », « Intériorismes », « Plage ») et deux films sélectionnés il y a une semaine par la Quinzaine des réalisateurs à Cannes (« Riyo » et « Central »). Vous avez choisi de présenter les écrans de projection en position oblique sur des cimaises elles-mêmes en diagonale par rapport à l’espace. Pourquoi ce choix ? Cela a-t-il un lien avec le titre « Quelle architecture pour Mars ? » que vous donnez à cet espace d’exposition ?

Dans ces différents films présentés au Consortium, il y a des préoccupations spatiales et architecturales. « Ipanema Theories » montre différents environnements. « Riyo », « Central » et « Plage » sont chacun, à un moment donné, dans un lieu, dans un rapport à l’espace. Dans « Ann Lee in Anzen Zone » aussi, même si cette zone de sécurité n’est pas architecturée, on la perçoit dans le film à travers le personnage. En fait, le titre « Quelle architecture pour Mars ?» pourrait aussi bien être « quelle architecture pour la Terre ?». Pour moi, il était évident que la question des écrans devait aussi se poser en terme architectural et que les images ne pouvaient pas se poser comme des peintures dans l’espace. Il fallait penser autre chose. J’ai imaginé ces espèces de traversées obliques dans l’espace qui permettent d’échapper au fait de contenir un film dans un seul espace. On se retrouve avec des alignements d’images qui nient les coupures, les portes, vu que les cimaises traversent l’espace. J’ai conçu ces cimaises comme différents bâtiments avec des fenêtres écrans.

— Les différents films que vous présentez au Consortium ont un point commun : le Japon. Ann Lee parle en japonais tout comme les deux adolescents de « Riyo ». Dans « Ipanema Theories », il y a également des vues de Tokyo. Vous semblez affectionner particulièrement ce pays.

J’y vais depuis longtemps et c’est une source d’inspiration permanente. Ce n’est pas de l’affection. J’y suis allée pour la première fois en 1987 et depuis, une vingtaine de fois. J’y suis restée une fois pendant six mois. C’est un lieu d’inspiration très intense. Mais il y en a d’autres. Le Brésil notamment.
Le film « Riyo » montre le bord de la rivière à Kyoto. Ce n’est pas du tout le Japon « cliché » que l’on peut voir dans certains documentaires où l’on peut voir des centaines de gens prendre le métro. C’est l’anti – « image cliché ». C’est pour cela que les films sont beaucoup plus intéressants que les mots.

 

1. Film de Stanley Kubrick réalisé en 1968
2. Daté de 1971
3. Film récent de Brian de Palma

 

Entretien avec Dominique Gonzalez-Foerster

15 mai 2001