Laure Prouvost
Dropped here and then, to live, leave it all behind

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Consortium Museum
Curated by Astrid Handa-Gagnard
Laure Prouvost, "Dropped here and then, to live, leave it all behind", 2016, exhibition view - Photo © André Morin /Consortium Museum
Laure Prouvost, "Dropped here and then, to live, leave it all behind", 2016, exhibition view - Photo © André Morin /Consortium Museum
Laure Prouvost, "Dropped here and then, to live, leave it all behind", 2016, exhibition view - Photo © André Morin /Consortium Museum
Laure Prouvost, "Dropped here and then, to live, leave it all behind", 2016, exhibition view - Photo © André Morin /Consortium Museum
Laure Prouvost, "Dropped here and then, to live, leave it all behind", 2016, exhibition view - Photo © André Morin /Consortium Museum
Laure Prouvost, "Dropped here and then, to live, leave it all behind", 2016, exhibition view - Photo © André Morin /Consortium Museum
Laure Prouvost, "Dropped here and then, to live, leave it all behind", 2016, exhibition view - Photo © André Morin /Consortium Museum
Laure Prouvost, "Dropped here and then, to live, leave it all behind", 2016, exhibition view - Photo © André Morin /Consortium Museum
Laure Prouvost, "Dropped here and then, to live, leave it all behind", 2016, exhibition view - Photo © André Morin /Consortium Museum
Laure Prouvost, "Dropped here and then, to live, leave it all behind", 2016, exhibition view - Photo © André Morin /Consortium Museum

Laure Prouvost (1978, Croix, France)


En collaboration avec : MMK Museum für Moderne Kunst, Francfort-sur-le-Main (3 septembre – 6 novembre 2016) et le Kunstmuseum Luzern, Lucerne (29 octobre 2016 – 12 février 2017)
Avec le soutien de : Mécénat Picard ; Galerie Nathalie Obadia, Paris ; Bruxelles ; fonds de dotation Le Consortium Unlimited
Remerciements : carlier | gebauer, Berlin ; MOT International, Bruxelles ; Londres


Du gout éphémère de la framboise

C’est l’histoire d’une fuite, le récit d’une échappée vers l’inconnu, d’un départ vers ailleurs, d’une envie d’aller plus loin et de tout laisser derrière soi…

Nous quittons l’entrée. Nous abandonnons nos téléphones, nos ordinateurs, nous partons loin, très loin… Alors nous nous avançons dans l’obscurité, nous entrons dans une salle vide, où nous pouvons entendre cette voix et voir ces lumières. Puis nous pénétrons dans le « IT HEAT HIT », où des gens se réunissent, tandis que d’autres dans une salle à notre droite discutent de la façon dont il est possible de faire de l’argent religieusement, s’inquiètent de leur existence, de leurs moyens de subsistance, disent leur volonté d’être plus que cela, car ils savent parfaitement qu’ils ne sont que des pixels. Nous savons que nous devons aller plus loin, avancer plus loin avec vous. Perdus, nous suivons quelques signes, regardons les oiseaux manger des framboises…
Respirons, déglutissons, marchons autour, avant de trouver notre chemin vers l’air frais. Plusieurs possibilités s’offrent alors à nous. À notre gauche, nous ouvrons la porte, quelques reliques du passé apparaissent, ce ne sont plus alors seulement des images. C’est un atelier d’artiste abandonné, celui du Grand-père disparu dans les tunnels de nos histoires. Pour lui montrer son affection, Grand ma a fait une tapisserie, le sol a été nettoyé et recouvert d’une nouvelle moquette pour cacher la poussière du passé. En poursuivant, quelques « stories of reflections » nous guident. Nous savons que nous pouvons tous nous transformer « Into All That Is Here ».

L’exposition présentée au Consortium est le premier chapitre d’un récit qui se poursuivra au MMK Museum fur Moderne Kunst en septembre 2016 et au Kunstmuseum Luzern en octobre 2016.

Ces expositions ont été conçues comme une errance en trois actes, dans laquelle nous sommes invités emprunter les parcours imposés ou suggérés par l’artiste, avant de tenter de fuir cette réalité, à essayer d’y échapper…
À l’entrée de l’exposition, notre attention est immédiatement captée par un grand couloir permettant un voyage à sens unique. Ce parcours linéaire nous conduit vers une succession d’installations vidéo, créant un sentiment de saturation nous contraignant à chercher un lieu de décompression.

Au centre du parcours, un large pan de mur du Consortium s’ouvre laissant le gravier de la cour intérieure recouvrir le sol du centre d’art. Ici, et pour la première fois, le travail de Laure Prouvost est en dialogue avec l’extérieur. Cet espace à la lumière du jour, ouvert sur l’extérieur, nous offre une pause dans un parcours très dense.

Après cette aire de repos, nous continuons notre périple en suivant un chemin moins contrôlé par l’artiste : deux portes suggèrent deux chemins possibles. Cette décision individuelle nous mène vers des œuvres plus intimes et personnelles.

Laure Prouvost a reçu le Max Mara Art Prize for Women en 2011 et a été le premier artiste français a remporté le prestigieux Turner Prize en 2013. Elle dit parfois être née en 1952 à Sydwansea et vivre entre Tokyo et un mobile home dans le désert croate ; mais ce n’est pas qu’une excellente conteuse, c’est aussi une grande menteuse…

Laure Prouvost fait partie de ces artistes pour lesquels l’art a le droit d’être un mensonge parfait. Son œuvre est remplie d’histoires indépendantes qui se recoupent, se répondent, se croisent, créant ainsi non pas une fiction, mais une réalité idiosyncrasique, poétique, sensible, humoristique et sensuelle. La réalité appartenant au monde des idées, l’artiste opère un passage de la fiction à une forme de réalité, imposant l’art comme discours et réalité autonome. Elle substitue le concept de véracité à celui de réalité et nous en propose une autre.

C’est dans le récit que cette réalité prend vie. Une réalité qui ne se laisse pas montrer facilement, qu’il faut déformer, transformer, donner à percevoir par un ensemble d’expériences, pour mieux l’organiser et la maîtriser. Une réalité segmentée et partagée au fil d’un cheminement labyrinthique, qui fait prendre une place centrale au spectateur, en s’adressant à lui, en se mettant à sa place, en lui donnant au travers des images le sentiment physique et bien réel d’une expérience du monde. Laure Prouvost construit sa narration en utilisant chaque impression provoquée chez le spectateur ; qui est directement interpellé, appelé à prendre part à l’œuvre, à en faire partie. L’œuvre a besoin de lui pour exister.
Le spectateur n’est plus passif, pris dans le flux des images, il devient un récepteur sensible, dont la vue, l’ouïe, l’odorat et le gout sont sollicités. Il doit s’approprier l’œuvre qui échappe alors pour partie et pour partie seulement à l’artiste, qui utilise la forme filmique pour manipuler l’expérience du visiteur, le séduire, le conduire à s’impliquer émotionnellement dans l’histoire proposée, afin de pouvoir mieux le contrôler.

Laure Prouvost travaille à la traduction en images de sensations, de sentiments et développe une pratique polymorphe autour de l’idée de traduction, de translation et de transposition. Le choix de la manière de transposer une forme ou une autre permet de produire un sens différent. Ses œuvres témoignent aussi d’une réflexion poussée sur le langage, son sens et sa compréhension, ainsi que sur la langue écrite et parlée. Il s’agit pour elle de créer de nouvelles possibilités de significations.

Swallow, présentée au centre de l’exposition, rend tout à fait compte de cette volonté de traduire des sensations en images ; ici, le sentiment du soleil sur la peau, l’éblouissement, le gout des framboises… La poétique de l’image artistique et la référence aux baigneuses et aux vierges du Quattrocento sont associées dans un montage cut au son d’une respiration semblant avaler l’ensemble de ses sensations. Ces images très sensuelles, donnant le sentiment de la chaleur ressentie au contact du soleil, du gout de la framboise en bouche, ne sont pas sans évoquer la scène du panneau central du Jardin des délices de Jérôme Bosch, qui peut être lue comme une célébration des plaisirs de la vie ou bien, comme le pensait Ernst Gombrich, comme la représentation de l’humanité corrompue d’avant le déluge.

Laure Prouvost nous fait voir un travail de textures très diverses orienté sur la question de la perception. Cette exposition s’offre comme un ensemble d’expériences immersives, physiques et sensibles, elle est un moment à vivre, elle demande du temps et a besoin d’être explorée.
Les œuvres de Laure Prouvost habitent un espace d’exposition modifié par l’architecture, les ambiances, les lumières, les odeurs, dans lequel se déploient ses installations, qui sont comme un théâtre d’objets, et ses vidéos, dans lesquelles le rythme visuel et le son jouent un rôle déterminant.

L’exposition se conclut avec Into All That Is Here, où l’idée de creuser, de faire des tunnels sert de point de départ à une réflexion première et sensuelle sur l’amour, la naissance et la mort. C’est également une considération sur l’encombrement psychologique provoqué par le flux et les superpositions mentales d’images et la façon dont elles nous consument.

Dans les histoires de Laure Prouvost, on peut se perdre, mais on peut aussi se retrouver. Ici, entre pots d’échappement et grand air, entre identité, histoire familiale et migration, entre espaces intimes et tunnels, on s’échappe vers des environnements inattendus et inconnus.

C’est le récit de la nécessité d’un changement ; avec l’art et l’histoire de l’art comme perspective et échappatoire… C’est aussi l’histoire du gout éphémère de la framboise…
––Astrid Handa-Gagnard