"Pictures of the Real World (In Real Time)"
On Kawara, Various Artists

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Le Consortium
Curated by Robert Nickas
"Pictures of the Real World (In Real Time", curated by Robert Nickas, Le Consortium, 1995.
"Pictures of the Real World (In Real Time)", curated by Robert Nickas, Le Consortium, 1995.
"Pictures of the Real World (In Real Time)", curated by Robert Nickas, Le Consortium, 1995.
"Pictures of the Real World (In Real Time)", curated by Robert Nickas, Le Consortium, 1995.

Aujourd’hui, on est samedi 11 juin 1994. Il fait 18°, le temps est couvert et humide. Il risque de pleuvoir cette nuit et on s’attend à un gros orage demain. 18h23, un calme inhabituel, mais de temps à autre, j’entends le voisin marcher dans l’appartement au-dessus. Je ne suis jamais en ville le week-end, tout le monde me pense parti, et le téléphone n’a pas sonné depuis plusieurs heures… Je regarde le catalogue de On Kawara, Again And Against, l’exposition dans laquelle 24 date paintingsune par année de 1966 à 1989, étaient réunies avec 24 œuvres d’autres artistes. Kasper König l’avait organisée pour Portikus à Francfort. L’exposition avait ensuite circulé à Chicago, Nagoya et Sydney. Et dans chaque ville, le commissaire sélectionnait à nouveau 24 autres travaux d’artistes, incluant tous les media – peinture, dessin, sculpture, objets, documentation d’œuvres d’art, pièce sonore et photographie. J’avais eu connaissance de cette exposition depuis un certain nombre d’années et je persistais à penser qu’il faudrait la refaire, mais uniquement avec des photographies. Je pensais que le fait de montrer une photographie de pair avec une date painting était un moyen de représenter littéralement la notion de temps dans le travail de Kawara, quasiment de la même manière que le journal au fond de la boîte accompagnant chaque peinture inscrit le travail à l’intérieur du jour de sa réalisation. Dès le début, j’ai pensé employer le terme « picture » autant pour réunir peintures et photographies, que pour évincer toute référence à la peinture ou à la photographie. Il y a un an à peu près, j’ai acheté le catalogue de l’exposition de Gary Winogrand au Museum of Modern Art en 1988 intitulé Figments from the Real World. Il contient une jolie citation de l’artiste que j’ai immédiatement reliée à la vie et au travail de Kawara. À la question « Pourquoi faites-vous de l’art ? » Winogrand répondait « C’est une manière de vivre. C’est une manière de traverser le temps. » Cela me rappelait aussi une chanson de David Thomas, avec cette phrase, « le monde réel… en temps réel. » Aussi je décidai d’appeler l’exposition : Pictures of the Real World (in Real Time). Une fois choisi ce titre, j’ai su, avant même de commencer ma sélection, ce que serait la majorité des photographies. Mes choix étaient instinctifs et personnels. Quelques jours suffirent à déterminer l’ensemble des photographies. Beaucoup d’entre elles avaient pour moi une résonance particulière, même si je ne l’ai pas évoqué au moment de la version originale de l’exposition, ni publiquement dans un texte ni en privé avec aucun des artistes. Pas même avec On Kawara. Et je pense qu’écrire sur les raisons de ce choix serait indiscret, même maintenant. Les images réunies ici avec des date paintings de On Kawara créent une frise chronologique et, inévitablement, une histoire de la photographie américaine depuis le milieu des années soixante. La nature de mes engagements – le photographe, l’image ou les deux – fait pourtant de cette exposition moins une « histoire officielle » qu’une histoire entièrement personnelle. Elle peut aussi (comme avec chaque commissaire de Again And Against) être remontée avec une sélection complètement différente. Chaque nouvelle proposition (par un autre responsable) produirait une autre exposition. Ainsi, il existe là aussi un nombre infini d’expositions à partir de la structure initiale de Pictures of the Real World (in Real Time). Celle que nous avons sous les yeux aujourd’hui n’est tout simplement que l’une d’entre elles. … il est 19h37, dehors, un bruit de voix dans la rue sous ma fenêtre, mais je n’arrive pas à saisir ce qui se dit. Il y a une grande rayure sur le verre de ma montre et deux hommes rient dans le bâtiment d’à côté.

— Robert Nickas