Mati Klarwein
L'Almanach 18 : Mati Klarwein

-
Consortium Museum
Curated by Franck Gautherot et Seungduk Kim
Mati Klarwein, "L'Almanach 18," 2018, exhibition view - photo © André Morin/Consortium Museum
Mati Klarwein, "L'Almanach 18," 2018, exhibition view - photo © André Morin/Consortium Museum
Mati Klarwein, "L'Almanach 18," 2018, exhibition view - photo © André Morin/Consortium Museum
Mati Klarwein, "L'Almanach 18," 2018, exhibition view - photo © André Morin/Consortium Museum
Mati Klarwein, "L'Almanach 18," 2018, exhibition view - photo © André Morin/Consortium Museum

« Je ne suis qu’à moitié allemand et à moitié juif avec un esprit arabe et un coeur africain. » En 1948, Mati Klarwein et sa mère s’installent à Paris où Mati suit les cours de l’école des Beaux-arts mais aussi fréquente l’atelier de Fernand Léger. Il rencontre en 1956 la mystérieuse Kitty Lillaz qui l’emmène parcourir le monde pendant 7 ans. Suivront des séjours à Paris puis à New York (1967-1983) où il se lie avec Miles Davis, Dali... Il passera le restant de sa vie à Déia sur l’île de Majorque. Le plus célèbre des peintres inconnus, Mati Klarwein a produit des peintures – devenues des images/illustrations de pochettes de disques pour Miles Davis (Bitches Brew, 1970, Evil Life,1972), Santana (Abraxas, 1970) ou Eric Dolphy (Iron Man, 1969).
À tempéra, souvent de petits ou moyens formats, les oeuvres de Klarwein décrivent avec une précision de trompe-l’oeil des univers fantastiques : les grands sujets de la peinture mythologique, les portraits mondains de survie et d’amitiés, les paysages des îles Baléares rendus avec toute la sécheresse d’une chaleur accablante, les compositions surréalistes, les envolées mystiques propres à l’ère hippie-route-des-Indes-Bali..., un tel panorama l’avait naturellement envoyé dans les limbes d’une contre-culture patchouli bienveillante et parsemée des cadavres de jeunes gens de tous sexes en overdose... Sa posture de peintre appliqué – à la suite de son maître autrichien Ernst Fuchs (1930-2015) gourou du réalisme fantastique et business man à la Dali – l’avait banni des zones de l’art contemporain. Le cruel débat de l’avant-garde versus l’underground est dans ce cas la marque d’un échec institutionnel annoncé pour une peinture d’images multipliées en posters de supermarché. Le succès des images imprimées de Dali, Buffet, Vasarely est-il préjudiciable à leur inscription dans l’histoire de l’art officielle et les a-t-il condamnés irrémédiablement à ces zones grises du succès malveillant ?
Klarwein, isolé dans sa maison de Majorque, mais en lien avec l’univers des starlettes et des wanna-be, en toute amitié avec les tribus des musiciens et les top models, a peint inlassablement des scènes de genre, des portraits de ses mécènes et de ses amours, des paysages, dessiné à l’aveugle, fait des films expérimentaux...

Pour l’exposition il a été rassemblé une quinzaine de tableaux de 1954 à 1999 affichant :
– Portraits
Autoportrait (Self Portrait with Straw Hat, 1954), portraits de sa mère (Elsa Klarwein, 1958) et de son père (Josef Klarwein, 1955) portraits de célébrités (Betty Catroux, 1965 : top model et muse de Saint-Laurent ; Donyale Luna, 1967 : la première top model africaine américaine à avoir fait la couverture du Vogue US, actrice chez Preminger, Warhol, Fellini, William Klein, décédée d’overdose en 197 à Rome).
– Mythologies et scènes bibliques
Deux tableaux semés de gerbes de fleurs multicolores encadrant une femme brune au regard noir (Eve, 1963) ou une baigneuse en arrière-plan d’un parterre de fleurs (Walking on Water, 1961)
Une série de petits tableaux (Reincarnation of Vishnu, 1967-1968) initialement inclus dans le grand oeuvre de Klarwein (Aleph Sanctuary, véritable « chapelle Sixtine du psychédélisme », un temple consacré à toutes les religions sous la forme d’un cube de 3 mètres de côté et qui contenait 68 de ses oeuvres. L’Aleph Sanctuary était en exposition quasi permanente dans le loft de l’artiste où ses amis comme Jimi Hendrix ou Miles Davis avaient la liberté de venir s’y recueillir.)
Un polyptique (St Johns, 1962) en cinq éléments, un triptyque (Crucifixion, 1963-1965), la crucifiée est ici une jeune femme noire. Elle est en position sens dessus dessous et du lait jaillit de ses seins. Un arbre de vie très ornementé l’entoure, peuplé de Dieux, de Saints hommes et femmes avec un grand nombre de scènes du Kama Sutra et d’une abondance de nymphes.
Cet arbre de vie nous plonge dans un univers de frénésies érotiques. Un diptyque (Evil, Life, 1971) utilisé pour le fameux disque éponyme de Miles Davis paru en 1972, qui avec Bitches Brew livré en 1969 a marqué le tournant électrique, psychédélique du génial trompettiste.
– Paysages
Trois scènes de nature paysagère (Night and Day, 1976), champ d’oliviers à flanc de montagne façonnée en terrasses, (Milkscape, 1983), vallée encaissée creusant une montagne en thalweg rougeoyant d’où sourd une rivière de lait, (Epicenter, 1999), un maelström d’eau et de feu bordé de paysage exotique, le contour du roadrunner créé par Chuck Jones pour les Looney Tunes en 1948, apparait en figurant clin d’oeil.
Mélange de genres, manière de Mischtechnik à la Van Eyck superposant tempéra à l’oeuf avec huile en de multiples couches transparentes, la peinture de Klarwein, à la suite d’Ernst Fuchs qui l’initia, affiche une virtuosité modeste, une intemporalité suspecte au service d’images chaudes, rassurantes et intrigantes à la fois.
Franck Gautherot