Shara Hughes
Pivot

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Consortium Museum
Curated by Eric Troncy
SHARA HUGHES exhibition view Pivot, Consortium Museum. Photo Rebecca Fanuele © Consortium Museum
SHARA HUGHES exhibition view Pivot, Consortium Museum. Photo Rebecca Fanuele © Consortium Museum
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Shara Hughes (1981, Atlanta)


Remerciements: Galerie Eva Presenhuber, Zurich, New York; Galerie Pillar Corrias, Londres; Galerie Rachel Uffner, New York


« Aujourd'hui, les peintres pullulent avec une rapidité bacillaire, avec une virulence épidémique qui nous laissent de l'effroi et de l'admiration. Nul n'échappe à la contagion, et les cas sont souvent foudroyants. Tel qui la veille, s'était endormi fonctionnaire, avocat, journaliste ou portier, se réveille peintre, le lendemain. » Ce n’est pas moi qui parle ainsi (je le précise car je pourrais tout aussi bien être l’auteur de ces lignes) : cette déclaration fut publiée en 1892 par Octave Mirbeau dans Le Figaro, tandis qu’il introduisait un long commentaire sur « Le Salon du Champ de Mars » – un salon annuel créé en 1890 par la Société nationale des Beaux-Arts et qu’on peut tenir pour un lointain ancêtre de nos actuelles biennales. La peinture, en effet, aujourd’hui pullule pareillement, et peut-être faut-il s’en réjouir ? Celle que fait la jeune New-Yorkaise Shara Hughes en donne toutes les raisons.

Shara Hughes est née en 1981 à Atlanta, elle a étudié à la Rhode Island School of Design de Providence puis à la Skowhegan School of Painting and Sculpture de Madison, elle a vécu un temps au Danemark et s’est finalement installée à Brooklyn. Sa participation à la biennale du Whitney, en 2017, fut un moment saillant de sa –pour l’heure– brève carrière : parmi la soixantaine d’artistes qui y étaient exposés, une quinzaine étaient des peintres, d’ailleurs essentiellement des femmes. Ceux qui n’avaient pas vu son exposition Trips I've Never Been On l’année précédente à la Marlborough Gallery de New York ont ainsi pu prendre la mesure de son indiscutable talent et de son originalité. C’est ce que celui qui connaît et aime l’histoire de la peinture voit d’emblée dans ses grands tableaux de paysages excessivement colorés : une sérieuse érudition qu’elle convoque sans inhibition aucune, facilitant s’il le faut l’évocation de Matisse ou de David Hockney, des inventions stylistiques de Edward Munch ou de Cézanne, des stratégies picturales de Philip Guston ou de Josh Smith… et jusqu’à la manière si spécifique de Van Gogh. De cette vaste histoire de la peinture qui d’ordinaire sert de prétexte à un défaitisme un peu snobinard et surtout très flemmard (« Tout a déjà été peint »), Hughes fait une force pour prolonger cette histoire sans renoncer à sa raison d’être : l’invention. Surtout, on ne voit rien d’autre dans ses tableaux, pas de discours édifiant sur le monde, pas de revendications de ceci ou de cela, pas de ces bavardages assommants qui font aujourd’hui le sel d’œuvres qu’on ne saurait plus regarder autrement que par le biais de ce qu’elles racontent, justement, car elles sont dépourvues de toutes autres qualités que celles formées par le bruit de fond de leur prétentions narratives.

« Je faisais par exemple tout un tas de peintures minimalistes avec des animaux morts, mais utilisés comme des meubles. Par exemple, des tapis en peau d’ours et des trophées sur les murs, ce genre de trucs, que j’ai ensuite transformés en une sorte de phénomène bizarre plus général » raconte Shara Hughes qui précise : « j’ai d’abord commencé par faire des intérieurs — ça me semblait toujours être la meilleure solution pour tout. Avec un intérieur, on peut montrer un paysage à travers une fenêtre ou bien une peinture d’une autre personne à l’intérieur du tableau, ou encore on peut avoir le choix de peindre des personnages, ou pas. » Où l’on voit, accessoirement, qu’il s’agit de faire une peinture qui embrasse toutes les possibilités de la peinture, et que la peinture, justement, forme le sujet même de cette œuvre. Plus récemment, elle a laissé de côté les intérieurs pour peindre des paysages qui convoquent simultanément tout un tas de techniques : la peinture à l’huile et l’aérosol, le pinceau et la truelle… et ne font confiance qu’à l’imagination, d’où ces paysages proviennent exclusivement. Ils ne dépeignent aucun lieu précis ni réel, et Hughes aborde la toile blanche sans idée particulière. En somme, c’est la peinture elle–même qui construit et compose le tableau, guidée par la connaissance de ce qu’a été la peinture tout au long de son histoire, jusqu’à cet instant précis où le tableau va être fait. Intitulée Don’t Hold Your Breath, la récente exposition de certains de ces paysages à la galerie Eva Presenhuber à Zürich l’an passé, avec son lot de forêts, d’ouragans, de sous-bois et de plages balayées par les vents offrait la brillante démonstration d’une évidente possibilité de faire de la peinture, justement, et de la faire autrement, d’une façon nouvelle et inventive. Elle rendait aussi limpide la nature parfaitement accessoire du sujet (ce que l’on sait depuis que Cézanne peignit des pommes ou la Montagne Sainte-Victoire) : il y a fort à parier que Shara Hughes a choisi le paysage parce que c’est une sujet immédiatement identifiable et rassurant – pas très important, en somme. Rassuré, donc, par sa reconnaissance du sujet, libéré de l’identification du lieu dépeint puisqu’il est imaginaire, les bavardages narratifs lui étant en sus épargnés, le spectateur peut ainsi sans entrave s’abandonner à cette peinture et l’envisager essentiellement en sa qualité de peinture.

Hughes y fait preuve d’un talent de coloriste hors normes, qui sait s’aventurer dans tous les excès et ne s’interdit aucune audace, et nous emporte systématiquement dans des compositions rocambolesques et trépidantes.

Eric Troncy